Mon premier chantier : Comment j’ai supervisé mes travaux grâce au Product Management
“Le plus important c’est de bien suivre tes travaux, il ne faut pas les lâcher”
Voilà ce que l’on m’a dit quand j’ai acheté mon premier appartement et me suis lancée dans des travaux de rénovation.
Problème : mes compétences en bricolage se limitaient à changer une ampoule ou un flexible de douche, et j’étais enceinte. J’ai donc fait appel à deux artisans, recommandés par mon frère Clément. Faire faire, ça m’enlevait un poids, mais comment s’assurer que les travaux avancent dans la direction souhaitée quand on n’en a jamais fait ou même fait faire ?
Je n’ai pas les mains bricoleuses mais j’ai des compétences en product management. Alors j’ai fait de mon mieux avec cette expérience pour superviser mes travaux.
Nous avions fait appel à deux artisans habitués à travailler ensemble : Alex et Geoffrey, un peintre et un électricien maîtrisant différents corps de métiers : une équipe agile maîtrisant différentes expertises pour être autonome. Cet esprit d’équipe autonome a contribué au succès des travaux.
Au-delà d’une posture de cliente, j’ai adopté une posture de collaboration (fondée sur la confiance, facilitée par les bons retours sur leur travail), tout comme le Product Owner au sein de l’équipe de réalisation : je leur ai fait confiance pour proposer des améliorations et me conseiller sur la meilleure solution technique.
Voici quelques pratiques issues de mon métier que j’ai pu réutiliser :
1) Les “daily” (réunion quotidienne)
“La clé c’est de suivre les travaux régulièrement”
Je ne savais pas superviser le comment mais je savais ce que je souhaitais : un appartement fonctionnel, agréable, avec quelques fonctionnalités clés (une cuisine ouverte, une salle de bain lumineuse…). J’avais la chance d’habiter à moins de 5 minutes à pied du chantier. J’y passais presque tous les jours, pour voir l’avancée et surtout discuter avec Geoffrey, l’artisan chef de chantier.
Scrum (cadre de travail agile) préconise des rituels quotidiens de 15min, en face à face, pour se synchroniser sur l’avancée vers l’objectif. Cela permet de détecter les éventuels problèmes rapidement pour trouver ensemble des solutions et ajuster le plan en continu.
Bien plus, cela permet de tisser une relation de confiance grâce aux moments informels que l’on n’a pas par mail ou téléphone.
Enfin, faire le point en face à face dans l’appartement permet de montrer directement dans l’appartement les points évoqués (un tuyau mal placé, un carreau de carrelage manquant). Je fais le parallèle avec les démonstrations du logiciel ou les supports de management visuel, plus parlants que de la documentation écrite !
2) les questions
Echanger c’est bien, mais sur quoi ? Que dois-je superviser ? à quoi faire attention ?
J’ai interrogé des personnes qui avaient fait des travaux autour de moi. Ma tante Véronique qui est architecte et a l’habitude de superviser de gros chantiers m’a dit : “Si un truc te paraît bizarre ou tu ne comprends pas, pose la question”.
Mon manager Gilles m’a donné un conseil qui m’a rassurée : “Ta force, c’est justement que tu ne connais pas, et que tu vas pouvoir poser des questions naïves”. Cela oblige les artisans à verbaliser les solutions qu’ils ont en tête, ce qui peut les aider à les affiner ou challenger leur solution. Quant à moi, cela me force à formaliser mes contraintes, parfois explicites (budget à ne pas dépasser, délai avant le déménagement) ou implicites (‘j’ai besoin de rangement dans l’entrée, on ne peut pas casser ce placard”).
“Et ce radiateur on pourrait pas le mettre là ?” “Ce produit il sert à quoi ?”
Ce genre de questions m’a permis de trouver avec l’artisan de nouvelles solutions et de monter en compétences.
Je vois un parallèle avec mon métier de consultante : arriver avec un œil externe et poser des questions naïves apporte du recul à l’organisation dans laquelle j’interviens et permet des changements de regard voire de pratiques.
Cette pratique m’a aussi permis de monter en compétences (du moins théorique). Ma tante m’avait conseillé : “Fais attention à tout ce qui est moche pas ce qui est beau”, autrement dit aux détails techniques (prises, plomberie, radiateurs…). Lors d’une visite d’un bien à vendre par exemple, j’avais tendance à me concentrer sur ce qui attire l’oeil (meubles, sols, revêtements…), qui est la partie émergée de l’iceberg.
Je n’imaginais pas tous les changements d’électricité, plomberie, qu’impliquait le fait de casser la cloison non porteuse qui séparait la cuisine du séjour.
Tout comme sur un produit informatique, les changements visibles sur le front (sur le site) dépendent souvent d’une complexité dans le back qu’il faut appréhender avec l’équipe de développeurs. Les “daily” et mes nombreuses questions m’ont permis petit à petit de mieux appréhender la complexité des travaux (peut être utile pour une prochaine fois !).
En tant que Product Manager, mon rôle n’est pas de concevoir la solution technique de mon produit, mais poser des questions pour comprendre permet de s’assurer avec l’équipe qu’on part sur la solution qui répond vraiment aux besoins utilisateurs.
3) Travailler sa vision pour naviguer dans l’adaptation
Qui mieux que ses habitants pour connaître leurs besoins et usages dans l’appartement ?
En tant qu’utilisatrice et Product Manager de mon appartement, il était important que je fixe la vision. Le management visuel nous a aidés à nous projeter (par exemple : des plans 3D de la future cuisine) mais il a fallu s’adapter. Une fois les anciens meubles de cuisine démontés, nous avons découvert que le déplacement de radiateur que nous envisagions était impossible. Nous avons revu nos plans, racheté un radiateur à la bonne taille et fait intervenir un plombier spécialisé pour ces tâches.
Beaucoup de décisions ont été prises au fur et à mesure : où mettre ce radiateur ? casser ou non cette cloison ? où ajouter les prises ? en gardant la vision et notre budget en tête.
Une fois le chantier lancé, j’ai vite été happée dans les points de chantier (la phase de“delivery” en produit, la livraison du projet), au détriment du “Discovery” (la phase de découverte des besoins utilisateurs pour construire le bon produit).
Pour avancer dans la bonne direction (et pas seulement avancer), je me suis forcée à prendre le temps de visiter l’appartement seule, en me projetant sur l’usage à venir et pas les travaux en cours. Cette phase d’auto-questionnement permet de construire le bon produit : à quel endroit vais-je télétravailler ? et donc où mettre les prises ? où les enfants vont-ils jouer et donc ou faut-il prévoir des rangements pour eux ? Se concentrer sur l’usage (le besoin) et non la solution a été clé.
Me concentrer sur la vision m’a aussi aidé à gérer mon stress dans les phases où j’avais l’impression que les travaux n’avançaient pas assez vite et que j’allais emménager enceinte et avec une fille de deux ans dans un véritable chantier. Visualiser comment nous allions vivre dans l’appartement une fois les travaux terminés plutôt que me focaliser sur la vue du chantier en cours m’a aidée à redonner du sens à ce projet et à ne pas (trop) paniquer. C’est la même chose dans les projets informatiques où partager la vision, repartir du problème utilisateur que l’on est en train de résoudre, permet de redonner sens et motivation.
Dans un projet il y a plusieurs variables : l’ampleur des travaux, le coût, les délais, la qualité.
Il est impossible de toutes les verrouiller car il y a toujours des aléas. En gestion de projet classique, la variable d’ajustement est souvent la qualité. En agile, c’est plutôt l’ampleur.
Voici comment nous nous sommes adaptés :
Pour ne pas rogner sur la qualité, l’ampleur des travaux a été ajustée au fur et à mesure, nous avions prévu une enveloppe de dépassement de budget d’environ 15%. Au vu de l’avancée des travaux, nous avons décidé de ne pas ajouter certains placards pour le moment, en nous disant qu’ils n’étaient pas nécessaires à l’emménagement (notre Minimum Viable Product) et pourraient être réalisés ou acheté plus tard.
Puisque nous avions une prévenance de 1 mois pour quitter notre logement, nous pouvions être flexible sur les délais, et ajuster selon la durée estimée des travaux. L’estimation donnée par l’artisan était de deux mois, après un mois et demi nous avons donné notre préavis et nous avons déménagé deux mois et demi après le début des travaux.
Conclusion
Cette expérience m’a rappelé que nos compétences professionnelles sont un atout transposable dans notre vie personnelle. J’en avais fait l’expérience sur des soft skills (feedback, prise de parole en public…), j’ai pu le vivre sur les hard skills de mon métier (agilité, product management). Nous avons trop tendance à séparer le monde professionnel de la sphère privée, pourtant utiliser ses compétences de parent (organisation, lâcher prise) au travail tout comme utiliser l’agilité à la maison, c’est précieux !
Et vous quelles compétences professionnelles avez-vous récemment utilisées dans un projet perso ?